jeudi 15 mars 2007

Inconnue

Elle avait l'air perdue. Son corps définitivement accroché au sol et son âme flottant sur un nuage de tristesse. Le temps était pourtant des plus magnifique. Les premiers jours du printemps, le retour du parfum sucré de la végétation. La vie sortait de son profond sommeil et repartait à la conquête du monde. Et elle était là, seule, petite créature d'argile et de feu, le regard absent, tout maquillé de noir. Je ne pus m'empêcher de lui demander:
- Excuse moi mais tu as l'air si triste!
- Ca te regarde? Et qui t'es d'abord?
- Personne, c'est vrai. Mais j'aime pas voir les gens tristes.
- Et alors? T'as qu'à regarder ailleurs!

Coriace la petite. Je lui ai proposé d'aller se ballader. Biensur, elle a d'abord refusé. Alors j'ai négocié et lui ai fait comprendre que je ne cherchais pas à la baiser, simplement marcher, discuter et profiter du beau temps. Elle finit par accepter, elle n'avait rien d'autre à faire me dit-elle.
Nous avons pris la direction du lac de Maine, sans se presser. En chemin, j'appris un peu à la connaître. Elle avait dix huit ans et redoublait sa terminale, section littéraire. Elle n'aimait pas le lycée, les enseignements lui paraissaient inutiles. Elle n'appreciait pas davantage les élèves de sa classe, trop superficiels et gamins à son goût. Quant aux relations avec ses parents, elle étaient plus que médiocres. Son truc, c'était lire. Mon avis est qu'elle se cherchait, voilà tout. C'est peut-être cela qui m'a poussé à lui parler, cette lueur lucide dans son regard d'une conscience qui s'éveille. Celle d'une âme en proie au doute. Elle quittait le monde bienveillant et rassurant de l'enfance pour entrer dans la superficialité, la résignation et la bestialité de l'âge adulte. Ses certitudes inébranlables volaient en éclats et laissaient place à la relativité de toute chose. Probablement qu'au fond de moi, je voulais lui offrir quelqu'espoir, du courage ou de la lumière, appelez ca comme vous voudrez.
Nous nous sommes arrêtés à un banc de pierre, sur lequel nous nous sommes assis, à quelques mêtres du lac. Le soleil réchauffait notre peau, merveilleuse sensation après l'impassabilité de l'hiver. Ses rayons miroitaient sur la surface ridée de l'eau, une famille de canards tournait en rond non loin de là et à peine plus que le clapotis et le vent léger dans les branches pour troubler le silence.
Elle était belle, pas de doute. Sa chevelure brune et ondulée portait les reflets dorés du soleil. Aucune parole dans l'air, son regard fuyait vers un quelconque infini alors que le mien se concentrait sur son visage. Ses lèvres fines, son teint légèrement matte. J'aurai pu tomber amoureux, je crois.
Même si j'en connaissais d'avance la réponse, je lui posais tout de même la question:
- Pourquoi as-tu l'air si triste?
- C'est la vie me dit-elle d'un ton monotone. Poursuivant, la vie, les gens, leur égoisme.
- Je ne te contredirais pas là dessus. Mais la vie, c'est plus que ca. La vie, c'est le reflet du soleil sur l'eau, c'est les canards là bas, c'est le parfum sucré du printemps. Ce n'est pas le béton, ton portable ou ta voiture. La vie, c'est ce qui se passe au fond de toi. Ne prêtes pas attention aux hommes, la plupart ne veulent pas la vie. C'est à peine s'ils sont nés. Prends le temps de regarder, de sentir et ressentir ce qu'il y a en dehors de la ville, de ce que tu croies être la vie. Et là tu la trouveras merveilleuse, la vie. Songes à tous ceux qui sont tombés, à tous ceux qui ne sont même pas nés. Ne te sens-tu pas chanceuse? N'as tu pas envie de profiter de cette chance, de célébrer la vie?
Elle me regardait comme si j'était le frêre d'E.T.. J'insistais:
- Non?
- Vu comme ca, oui.
Dans ses yeux, j'ai senti que je venis d'ouvrir une porte, de mettre en lumière une voie qui lui était inconnue, une voie qu'elle aurait peut-être envie d'explorer.
Et puis nous avons parlé, parlé, d'elle, de moi, de la vie. Mélodies de mots entrecoupées de silences avant de nous séparer, alors que le jour déclinait. Sans échange de numéro, sans perspective de se revoir. Sans passé, sans future, uniquement le présent.
Aujourd'hui, je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Ai-je changé sa vie? Au fond, je l'espère. Même si je ne le saurais jamais.

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