lundi 6 novembre 2006

Science et sagesse: le dilemne de Prométhée

La connaissance scientifique entraîne-t-elle la sagesse ? Est elle son alliée ? Les temps actuels ne semblent pas jouer en faveur d’une telle assertion. Quelle différence les sépare ? Après tout, toutes les deux ont pour but la connaissance des choses et une conduite meilleure, plus vertueuse. A vrai dire, j’en vois deux. La première est que la science réduit son sujet d’étude à des objets alors que la sagesse comporte une bonne dose de spiritualité. La seconde, importante est que la science peut être détournée alors que la sagesse ne peut l’être par définition.

La science excelle dans le domaine de l’inanimé. Les trois grandes révolutions du XXème siècle que sont la mécanique relativiste, la mécanique quantique et la mécanique systémique (dans laquelle j’inclus les phénomènes chaotiques) décrivent et prédisent avec toujours plus de précision le monde qui nous entoure. Quid de l’homme ? Quid de la vie ? En examinant le passé lointain, on se rend aisément compte que les hommes de l’antiquité possédaient une certaine sagesse qui s’est dissipée au fil des siècles. Aujourd’hui, nous trouvons deux camps : l’obscurantisme et la science. A leur frontière, des phénomènes nous échappent et sont trop vite rejetés par la science conventionnelle. J’en vois deux exemples frappants. Jusqu’à ce que l’on découvre récemment que le système immunitaire de l’homme est de type cognitif et relié au système nerveux central, la médecine chamanique, malgré ses extraordinaires résultats, était fortement soupçonnée de charlatanisme. De même pour la médecine traditionnelle chinoise, qui peu à peu disparaît. Comment un médecin chinois fait-il pour connaître l’état d’ensemble de son patient simplement en posant trois doigts sur son poignet droit ? D’autre part, nous nous rendons petit à petit compte que derrière les allégories de certains textes sacrés comme le Tao se cachent en réalité une conception empirique du monde étonnement proche de ce que l’on a découvert seulement au siècle passé ? Voila ce que j’entends derrière le terme de sagesse, par opposition à la connaissance scientifique : un savoir qui émane non pas de la raison mais des sens, de l’intuition.

Henry Miller disait : « Le corps possède une sagesse que celui qui l’habite n’a pas. » N’est ce pas cela que l’on a perdu ? Cette sagesse du corps ? Et pour quelles raisons l’avons-nous perdue ? Pour y répondre, plongeons nous dans une certaine définition de la vie. Qu’est ce que la vie ? Nous pouvons trouver mille réponses à cette question mais une seule nous intéresse ici : la vie est un système global, écologique en évolution permanente et ce qui le différencie essentiellement de l’inanimé est qu’il existe tout un réseau infiniment complexe d’interactions entre ses composants. C’est cette évolution constante qui lui permet de passer d’un équilibre précaire à un autre et le rendant ainsi, paradoxalement, incroyablement stable par le fait même de son adaptation. L’homme, dans ses ambitions urbaines tend à se couper du reste de l’écologie, ce qui n’est pas sans conséquence sur son comportement. En effet, l’homme a pris forme au cœur de la nature, lui étant adapté à l’origine. Dans le but d’échapper aux dangers que pouvaient représenter pour lui cette même nature et grâce à son outil particulier, la raison, il a commencé à s’en protéger, à ériger des murs pour s’en éloigner et construire un monde à son image : raisonnable, qui obéit aux lois de la raison. Pour cela, il a construit des cités toujours plus grandes et toujours plus éloignées de son foyer d’origine pour s’y agglutiner. Seulement voilà, nos racines se trouvent toujours en nous et sous la couche de la raison se trouve encore nos instincts animaux, fruits de l’évolution. Il s’ensuit une discordance entre ces mêmes instincts et la raison. Il sait, il sent que ce sont ces instincts qui lui occasionnent tant de souffrance et pour les faire taire, il doit s’éloigner de ce qui les active : la nature. La science, dans ce contexte est le moyen qu’il emploie pour parvenir à cette fin. Ce qu’il ignore, c’est que ces instincts, même privés d’une source, s’activent à intervalles réguliers. Ils sont autonomes et si un homme s’isole complètement hors du monde, il sera sujet à la colère, au désir etc. Alors qu’en principe, le monde moderne devrait pouvoir satisfaire n’importe quel humain et ainsi faire taire ses « mauvais » instincts, il n’en est rien. Alors la raison continue de générer de nouvelles utopies qui ne dépasseront jamais le stade du conte de fées et qui ne feront que rendre encore plus distant la raison du corps (d’où émanent les instincts). Ainsi, la raison permet d’imaginer des sociétés dites plus efficaces qui ont finit par prendre l’apparence de machines dont leurs penseurs nous ont perçu comme des rouages en faisant appel précisément à notre raison. Parallèlement, cette distance entre raison et instincts entraîne une attente, un désir qui ne sera jamais satisfait, et donc une souffrance toujours plus grande. Et quelle est la réponse à la souffrance ? Une recherche de plaisir. Plus grande est la souffrance, plus grand doit être le plaisir compensatoire, entraînant une cupidité toujours accrue. On le voit bien : il s’agit d’un cercle vicieux.

D’autre part, le fait que nous soyons coupés de notre niche écologique entraîne la perte des habitudes d’interprétation de bon nombre de nos sensations. Il suffit de voir les peuples dits primitifs d’Afrique ou d’Amazonie, les mongoles dans leurs yourtes traditionnelles interpréter les signes naturels, tel les éléphants sentant les séismes, pour s’en rendre compte. Ainsi, l’homme a commencé à s’aliéner le jour où il a perdu confiance en ses instincts pour tout miser sur la raison. De la sagesse à la science corruptible.

Une question se pose : Y a-t-il une fin à ce cercle vicieux ? Toute ère a une fin. Il se peut que le réchauffement climatique mette un terme à cette période que les sages hindous nommaient « Kali yuga », période où « les gens seront cupides, adopterons une conduite néfaste, deviendront sans merci, se livreront à des hostilités sans raison ; malheureux, ils brigueront à tout prix la richesse et les plaisirs temporels… ». La machine est déjà en marche. N’ayons aucune crainte pour la vie, même si l’homme occasionne l’extinction de tant d’espèces, la vie n’en continuera pas moins de se développer, de s’adapter, de créer de nouvelles richesses de formes et de comportement. Cependant, il a raison d’avoir peur pour lui-même, car on ne joue pas aux dieux sans en payer le prix et tel Prométhée, nous sommes condamnés à souffrir, perchés et isolés sur notre rocher, jusqu’au jour où l’aube nouvelle pointera après la nuit du prochain déluge.

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